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In porno veritas ?

Les lignes qui suivent ont pour point de départ un commentaire, en apparence anodin, partagé en séance par un de mes accompagnés. J’ai choisi de donner à ce texte la forme d’une lettre à P. (l’initiale du prénom a été changée), mais elle ne s’adresse pas exclusivement à lui.




Cher P.,

Cela fait plusieurs décennies (trois, pour être précis…) que tu vis dans l’esclavage de la pornographie et de la masturbation. Depuis ton adolescence, en fin de compte. Mais te voilà décidé à prendre tous les moyens nécessaires pour tourner le dos à ce fléau. Une bonne fois pour toutes. Par amour pour ta femme. Par amour pour tes enfants. Cette fois sera la bonne. Un puissant désir t’anime : vivre enfin en cohérence avec ce qui compte vraiment pour toi. Que cesse à jamais le double jeu dans lequel tu t’es laissé enfermer ! Et que meure le double « je » ! En effet, subir une addiction, c’est vivre avec une fracture intérieure.


Durant notre première rencontre, tu me confies ta colère. Très bien. La colère, c’est de l’énergie ! Je relève aussi que tu es très motivé. Je m’en réjouis, car la motivation est le vrai moteur du changement. Plus que la volonté, contrairement à ce qu’on veut bien croire. Dans une addiction, la volonté est rendue inopérante.




Au cours de notre entretien initial, mes questions ne s’attardent pas sur les contenus dont tu as inondé tes yeux pendant si longtemps. Inutile d’accorder trop d’attention à toutes ces images. Elles occupent déjà tellement d’espace dans ta mémoire blessée et saturée. Cependant, tu juges utile de me faire part d’un détail important : le soin « esthétique » avec lequel tu sélectionnais les images. Et tu questionnes ce souci qui pourrait traduire, dis-tu, une espèce de quête du beau.



Esthétique, le porno ?


Avant de te répondre, il me semble utile d’expliciter ce que tu sous-entends probablement par « esthétique » (je fais ici des suppositions puisque je ne t’ai pas demandé des précisions). En matière de porno, on imagine aisément qu’il y a de tout à se mettre sous la dent (le pire côtoie… le pire). Normal puisque c’est un business. Dans cette infinie diversité, certains « produits » semblent a priori plus fréquentables (ou plutôt moins infréquentables…) que les autres. Tu fais probablement référence à ceux-là. Sur le plan purement cinématographique, ils seraient de meilleure qualité : le scénario, la technique… On pourrait presque s’écrier : « C’est beau ! C’est propre ! ». Pas de violence apparente. Une ambiance… pseudo-romantique. Des préliminaires un peu plus longs que d’habitude (dix secondes au lieu de deux…). Du porno pour les femmes, en quelque sorte ?



Dis-moi ce que tu regardes…


P., ta vision d’un porno qui serait esthétique est un piège.

Avant de t’expliquer pourquoi, j’ai tout de même une bonne nouvelle à te dire. In porno veritas : « Dis-moi quelles images tu regardes, je te dirai qui… tu n’es pas ». À ce titre, je crois pouvoir te rassurer. Te consoler. Dédramatiser. Même si tu t’es égaré en chemin, non, tu n’es pas un méchant macho. Ni un salaud… ni un sado. Le modèle dominant de la pornographie, c’est le mâle conquérant, pour qui la femme n’est qu’un objet de plaisir à soumettre - par la violence – et à faire jouir. Une chose disponible à temps complet et corvéable à merci (à ceci près qu’il ne s’agit pas de lui confier des tâches ménagères). Si de telles images ne t’ont pas attiré, c’est donc que tu n’es pas de cette catégorie d’hommes.



Le porno, faux d’artifices


Ceci étant dit, parlons maintenant des choses qui fâchent… In porno veritas s’arrête ici.

« Dans le cochon, tout est bon », dit un autre dicton. S’agissant de la pornographie, le bon sens commun serait bien inspiré d’inventer une formule équivalente : je propose par exemple « dans le porno, tout est faux » (mais surtout pas « dans le porno, tout est beau »…). Retiens que la pornographie est le contraire de la vérité. Tout n’y est qu’artifices (alors que la sexualité, elle, est un feu d’artifice quand elle s’inscrit dans des relations interpersonnelles vraies).




La meilleure ruse du porno, parce qu’il prétend tout montrer et être conforme à la réalité, c’est de faire croire qu’il incarne la liberté, la vérité et l’amour. Mais, s’il ne cache rien, soi-disant, c’est pour mieux tromper… et mieux « casher ». Tout est étalé, mais circulez, car y’a rien à voir dans ce grand déballage ! Rien qu’un écran de (viande) fumée ! Pas de réponse aux questions existentielles à trouver au plus profond du sexe de la femme. Pas de confirmation de sa virilité pour le spectateur qui se laisse hypnotiser. Pas de recettes pour grimper au rideau, pour réussir au lit. Tant de jeunes – et de moins jeunes – angoissent à cause de l’impossibilité d’égaler les « performances » de ces figurants qui s’exhibent et miment l’amour.



Porno : le regard qui tue


P., le porno t’a trompé. C’est la raison pour laquelle tu as été infidèle.

Le porno a aussi fait de toi un conso-mateur. Il a su flatter et réveiller le penchant voyeur qui sommeille en toi. Et qui est un peu présent en chacun de nous à divers degrés, reconnaissons-le (je m’adresse aux hommes...). Quel homme n’a jamais été tenté de jeter un œil sur « une cuisse » ? Mater, n’est-ce pas déjà un peu tâter ? Être voyeur n’est jamais inoffensif. Il peut y avoir quelque chose de profondément violent dans la manière de regarder. Avec une parole, on peut blesser ; avec un regard de travers sur l’autre, on peut le chosifier, s’approprier son corps. Donc le tuer. Le porno fait du spectateur un assassin.


Tu confesses être un « pornovore » (non, ta personne ne se réduit pas à ce comportement que tu as eu pendant si longtemps). Certes. Mais as-tu conscience que c’est d’abord toi qui t’es laissé happer, puis croquer ? Le porno est anthropophage. Il dévore tout cru celui qui tombe dans ses filets.

Mais pour toi, une page se tourne aujourd’hui. Fini de mater depuis les coulisses. Te voilà sur scène, dans le premier rôle, celui de ta propre vie dont tu reprends le contrôle.



Le porno, toujours violent


Quand tu parles d’une certaine « esthétique » comme je l’évoquais plus haut, tu fais probablement référence aussi à un porno sans violence apparente. Oui mais… Sache que le porno est par nature violent. La violence est omniprésente dans la pornographie. Même quand elle n’est pas visible a priori à l’écran, elle est toujours à l’œuvre. Elle en est l’ingrédient principal. Je dirais même le seul. C’est pour cela que la pornographie est une mauvaise tambouille. Et qu’elle laisse toujours un goût amer et des maux d’estomac.


Cette violence découle de l’absence d’intimité. Elle découle du morcellement des corps. Elle découle des rencontres-accouplements immédiats (dans le porno, les préliminaires, c’est le générique…). Elle découle de la focalisation assumée sur les sexes. Elle découle de la chosification de l’autre. Elle découle des stéréotypes omniprésents. Elle découle bien sûr de l’absence d’émotions et de réciprocité relationnelle.



Quêter un regard… plutôt que regarder du porno


Cher P.,

pour conclure, je te livre une dernière réflexion que m’inspire ta recherche «esthétique». Crois-moi, tes yeux avides ne trouveront jamais dans la pornographie aucune révélation, aucune réponse. Tout a déjà été dit sur le sexe. Une quête qui prend le porno comme destination se termine nécessairement… en cul-de-sac, si tu m’autorises cette familiarité. Ce dont tes yeux ont besoin, et à travers eux ton cœur, n’est-ce pas plutôt… d’un regard ? Des yeux dans tes yeux. Un regard posé sur toi, qui prend le temps. Le temps de t’aimer. Le temps de te contempler. Le temps de te dire toute ta valeur. Un regard qui t’invite à vivre des vraies relations. À accepter ta vulnérabilité. Un regard qui t’encourage à prendre enfin ta place dans le monde.




Alors prends-la, cette place. Fonce. Le porno est déjà derrière toi. Et devant toi, il y a encore la vie. Beaucoup de vie. Et ta femme et tes enfants, qui t’attendent.

Non, in porno non veritas. Alors, quand une célèbre chanson nous dit :« Goûtons, voir, oui oui oui », La seule réponse possible est : non, non, non…


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